知白守黑


20.May.2012

http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-hudelot/200512

 

 |  PAR CLAUDE HUDELOT

 

Je reviens à ces quatre caractères, zhi bai shou hei, “connaitre le blanc, préserver le noir”, qui ont rythmé nos après-midi à la HK Art Fair sur le stand de l’IFA GALLERY. Cette citation de Lao Zi qui fait débat. Mais le taoïsme, depuis sa naissance, cinq siècles avant JC n’est-il pas sujet à controverses, de par sa concision, ses multiples interprétations sémantiques qui ne cessent à la fois d’ouvrir des portes et de nous confronter à une incertitude ontologique? Jacques Lacan lui-même était revenu à sa manière sur certains syllogismes, c’est dire.

Tiens, avant de vous livrer quelques conclusions péremptoires sur la HK Art Fair et d’évoquer la dernière action de l’artiste Daï Guangyu, je ne résiste pas au plaisir de vous citer cette histoire attribuée à Zhuangzi, disciple du Maître, merveilleusement traduite par Simon Leys, auquel notre MAO est dédié. ( “In tribute to Simon Leys, who opened our eyes to Mao’s China“).

Zhuang Zi et le logicien Hui Zi se promenaient sur le pont de la rivière Hao. Zhuang Zi observa : «Voyez les petits poissons qui frétillent, agiles et libres ; comme ils sont heureux !» Hui Zi objecta : «Vous n’êtes pas un poisson ; d’où tenez-vous que les poissons sont heureux ? – Vous n’êtes pas moi, comment pouvez-vous savoir ce que je sais du bonheur des poissons ? -Je vous accorde que je ne suis pas vous et, dès lors, ne puis savoir ce que vous savez. Mais comme vous n’êtes pas un poisson, vous ne pouvez savoir si les poissons sont heureux. – Reprenons les choses par le commencement, rétorqua Zhuang Zi, quand vous m’avez demandé “d’où tenez-vous que les poissons sont heureux” la forme même de votre question impliquait que vous saviez que je le sais. Mais maintenant, si vous voulez savoir d’où je le sais – eh bien, je le sais du haut du pont.» (in Le bonheur des petits poissons, lettres des antipodes JC. Lattès).

Il s’avère que mon propre nom chinois, 鱼得乐, yu de le, “le poisson gagné par la joie”, est l’exacte citation mentionnée par Leys. Mais revenons à nos quatre caractères et surtout à ce qui fut, dans cette gigantesque foire, la seule action stimulante, revigorante qui s’y soit déroulé. Daï Guangyü y a mis fin aujourd’hui, avec beaucoup de finesse, avec cette sincérité qui traverse toute son oeuvre, sous la forme d’une cérémonie sans ostention mais non sans tension et sans une certaine solennité.

Vous souvenez des bouteilles, du goutte à goutte, des bols pleins d’eau mêlée d’encre noire, – ce liquide étant, dans l’imaginaire de l’artiste, son propre sang -, de ce papier couvrant le sol sur lequel étaient donc sculptés, grâce à de la farine, les quatre caractères 知白守黑.

Daï a commencé par renverser les bols, déversant une encre devenue tellement noire que l’artiste et ses oeuvres, notamment ses autoportraits, au loin, se miraient dans le liquide répandu. Puis il a concassé les bols à l’aide d’une grande brique rouge, provoquant des jets d’encre et autres dispersions de tessons de porcelaine. Il a ensuite découpé patiemment quatre carrés avant de les rouler, avec la farine, les tessons, et de placer le tout dans quatre bouteilles d’apothicaire virant au noir. Une longue opération suivie avec beaucoup d’attention, de curiosité par un public de plus en plus nombreux. Pour finir, il a rempli les quatre récipients jusqu’à la gueule, les a fermé avec un bouchon de verre, a apposé sur chacune des bouteilles, l’un des quatre caractères, 知,白,持,黑. Il les a alignées face au public avant de saluer celui-ci. Quelques applaudissements ont retenti. Ainsi s’achevait un long cycle entamé sur le stand de l’IFA GALLERY quatre jours plus tôt, un cycle qui aura attiré chaque jour des centaines de visiteurs avides d’informations, de clés, d’explications fournies avec une amabilité sans faille par Alexis Kouzmine, le directeur de la galerie, Zane Mellupe, commissaire d’exposition d’origine lettone, s’exprimant parfaitement en mandarin et en anglais, et par Effie Sue, la jeune manager chinoise polyglotte.

Ce qui m’amène au point le plus positif peut-être de cette foire: son ouverture sur une pédagogie active, touchant d’abord les très nombreux scolaires, les étudiants qui tous témoignèrent d’une soif d’apprendre inextinguible. Ces questionnements traduisent à la fois l’appétit féroce des jeunes chinois pour le progrès, et en l’occurence, leur désir de combler une lacune concernant un domaine longtemps délaissé, en Chine continentale comme à Hong Kong, celui de l’art. Alors, les voilà qui mettent les bouchées doubles. D’autant que la plupart d’entre eux ont entendu parler des extraordinaires “success stories” vécues par la génération de ces artistes chinois passés sous la férule de leur guru et maître, “Lao Li”, le professeur et théoricien Li Xianting. Loin de moi la volonté de réduire ce mouvement à un seul homme et à une seule tendance, celle du “gaudy art”, que l’on pourrait traduire par “art sarcastique”, mais force est de constater que c’est avec ce petit noyau iconoclaste que tout a commencé. A Pékin. D’autres mouvements naîtront ailleurs, notamment à Shanghaï, à Chongqing, à Chengdu mais le noyau dur est bien celui de la capitale et plus précisément d’un village situé près du “Yuan Ming Yuan“. (L’ex Palais d’Eté détruit en 1860 par les troupes franco-britanniques.)

Encore quelques mots sur cette HK Art Fair. Remarquablement organisée, spacieuse, riche en oeuvres de très grande qualité, présentées dans des galeries souvent prestigieuses, elle a fait la part belle à l’Asie, l’Océanie et à ce monde des antipodes cher à SImon Leys. La diversité des propositions artistiques d’un stand à l’autre témoignait de sa richesse. Les accrochages permettaient aux oeuvres de respirer et donnaient lieu parfois à d’étonnantes confrontations. Et plusieurs installations quasi monumentales, ici une série de vitraux de Buren comme un clin d’oeil au Grand Palais, là une trace du travail de fond mené par Ai Weiwei au Sichuan après le tremblement de terre, donnaient plus de sens et de panache à l’ensemble.

Cette foire nous a paru cependant beaucoup trop sage, trop “rangée”. Personnellement, je n’y ai vu aucune fantaisie. L’ouverture fracassante des galeries situées à Central, (évoquée dans “la folie HK”), laissait augurer d’une belle envolée. Rien. Ou si peu. D’ailleurs,  l’installation-performance de Daï Guangyu était à ma connaissance le seul “work in progress”. Les bouteilles de bon vin ostensiblement posées sur les tables des stands les plus huppés ou le charriot Veuve Clicquot déambulant sans désemparer dans les allées, accompagné par une vestale perchée sur des talons échasses, n’ont pas empêché la foire de sombrer dans un doux ennui quelque peu lénifiant. Je crains fort que les ventes ne s’en soient ressenties. Point de petits points rouges, ou si peu. La faute nous dit-on à la chute de bourse ici même, à HK, et à la crise mondiale qui revient au galop. Et peut-être aussi à des prix parfois vertigineux. Wait and see.

PS. Merci à Bonvent!