“Connaître le blanc, préserver le noir” – La Cina è Vicina (Blog Mediapart)


17.May.2012

http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-hudelot/170512/connaitre-le-blanc-preserver-le-noir

 |  PAR CLAUDE HUDELOT

 

“Connaître le blanc, préserver le noir”(1)(3): cet adage de Lao Zi, fondateur du taoïsme, pourrait s’appliquer aux événements que la France vient de vivre, qui sait, au nouveau gouvernement, pourquoi pas? En chinois, ces six mots quelque peu énigmatiques deviennent quatre caractères somptueux, charnels, évocateurs de tout un monde, un monde qui forcément nous échappe…Mais rassurez-vous, qui échappe aussi à la plupart des Chinois et des asiatiques à même de déchiffrer cette langue.

Ces quatre caractères, l’artiste Daï Guangyu a décidé de les dessiner au sol de la IFA GALLERY, ( stand 3×4, section Asia One, 3ème étage de la HK Art Fair, un peu perdue parmi des dizaines et des dizaines de stands plus rutilants les uns que les autres, mais le plus souvent désincarnés). Il les a sculpté avec une farine bien blanche, posés sur une grande feuille d’un papier lui-même blanc et épais, tel un tapis de cérémonie.

Daï Guangyu a aussi disposé toute une batterie de bols blancs. A la verticale de ceux-ci – là, votre regard s’élève tout doucement du sol jusqu’au “ciel” – vous découvrez…un tube de goutte à goutte, qui monte, monte jusqu’à des bouteilles distillant un liquide qu’on imagine nutritif. Qui n’a connu, forcé et contraint, cet appareillage post-opératoire? Tout en haut, à haut moins quatre mêtres du sol, une structure légère, quasi invisible, portant les bouteilles soigneusement alignées deux par deux.

Dripping. Souvenez-vous du geste rageur de Jackson Pollock provoquant ce fameux jet de peinture saisi une première fois par la caméra complice de Hans Namuth. Le “dripping” de notre Sichuanais – Daï est né et a longuement vécu à Chengdu, auprès de ses parents, son père, professeur d’histoire ayant beaucoup souffert pendant la révolution culturelle -, ce dripping est précis, maîtrisé. Les bols, initialement remplis d’encre noire, débordent infinitésimalement, invisiblement, le liquide noirâtre se répandant à dose homéopathique sur le papier buvard. Une grande tâche nait. Elle se développera tout au long de la HK Art Fair. Puis les élements ainsi imbibés rejoindront quatre grandes bouteilles d’apothicaire transparentes…Et là, je l’avoue, je ne sais pas encore ce qu’il adviendra, suspense.

Vous l’avez compris, cette installation-performance ne doit rien au hasard. Daï pratique depuis longtemps ces recherches à base d’encre noire, recherchcs qui déjà jouaient un très grand rôle…chez les lettrés de la dynastie Han! (221 av JC / 220 ap. JC). J’ai déjà évoqué certaines performances de Daï auxquelles j’ai assisté. Depuis une vingtaine d’années, d’abord à Chengdu, maintenant à Pékin, il en a fait sa marque de fabrique. Ce sont ces “ink games”, ses “jeux d’encre”….ancrés dans l’histoire millénaire de la Chine, revisités par le monde contemporain, ici l’hôpital qui nous soigne, nous protège et nous tient par un fil, là ces “taches de rorschach” qui prennent la forme d’une carte de Chine, comme celle que Daï inventa, puis photographia au pied d’une des rares portes de Pékin qui marque encore l’entrée de la ville, après que Mao Zedong ait décidé de détruire les remparts de la “capitale du nord”.

Ces photographies, comme l’oeuvre peint de Daï sur du papier de riz, entoure l’étrange installation qui attire de nombreux visiteurs intrigués, posant moult questions. J’ai même espéré un court moment inviter François Pinault à découvrir l’une des oeuvres les plus singulières de la Art Fair, mais celui-ci, à deux pas de la galerie, seul, était scotché à son portable. Dommage.

Daï et Alexis Kouzmine, directeur de ifa gallery, ont fort bien conçu l’accrochage, dans ce stand qui ne mesure guère à peine 30 m2: au fond, les deux portraits de la mère et du père de Daï, deux visages respirant l’honnêteté, la modestie, deux “lao bai xing”, (mot à mot, “les cent vieille familles”, expression qui désigne le Peuple, le vrai), à peine mangés par des petits carrés, la mesure qu’emploie Daï pour construire ses portraits, et qui marquent tout simplement le temps qui passe et nous dévore. Des photographies donc, dans les coins, comme ces miroirs placés jadis pour refouler les mauvais esprits et obtenir un bon fengshui; et puis, en majesté, à main droite, deux autoportraits géants, un de face, l’autre de profil, qui sont, à mes yeux, une autre réussite. Mais les visiteurs, bombardés qu’ils furent par tant de couleurs, de créations “up to date”, chébran et “avant-gardistes”, ces “pauvres” visiteurs happés par d’autres accrochages d’enfer, et souvent, disons-le tout de go, par des oeuvres majeures, ne voient pas ce travail tout en profondeur, en humilité, en finesse. Or je l’ai dit ailleurs et le répète ici, Daï Guangyu, avec sa queue de cheval  – ou son chignon, c’est selon – sa barbichette, ce beau visage, son doux sourire, avec cet art puisé aux sources de la civilisation de l’Empire du Milieu,  incarne l’éternelle symbiose entre taoïsme et confucianisme.

J’y retourne aujourd’hui, puisque commence ma première séance de décicace concernant notre MAO (Editions Horizons, Londres), ce gros “livre rouge” et son déroulé sans fin d’icônes montrant le culte de la personnalité le plus inouï de toute l’histoire de l’humanité. Ah, notre Grand Timonier, Grand Educateur, Grand Général avait fait fort! J’ai eu le plaisir, hier, de le dédicacer à Samuel Kung, Président du MOCA Museum, (Shanghaï), Kung, Kong, Confucius (2)(3)…Et oui, Samuel, “le roi du jade”, est le descendant, en ligne directe de ce grand philosophe / homme d’état vilipendé jadis par les thuriféraires du “Président Mao”, – souvenez-vous de la campagne “pilin pikong!”, “critiquez Lin Biao, critiquez Confucius!” -, et revenu ces temps-ci en odeur de sainteté. J’ai aussi remis notre “pavé” ( deux bons kilos) à Zhang Xiaogang, présent dans notre ouvrage avec deux  portraits de sa série ” Tongzhi”, “camarade”, un mot qui aujourd’hui a pris un tout autre sens, puisqu’il désigne, sans aucune valeur péjorative, les homosexuels. Zhang Xiaogang, que je tiens pour l’artiste chinois le plus talentueux de ce temps, et ce mot est faible. Xiaogang, resté si simple et si chaleureux, toujours aussi timide d’ailleurs, quand d’autres -suivez mon regard – roulent des mécaniques!

Pour finir, ceci: il y a, dans cette foire, un autre lieu magique, c’est la Galleria d’Arte Maggiore, la bien nommée, qui présente d’une part des oeuvres flamboyantes de Sandro Chia, d’autre part de purs chefs d’oeuvre de Giorgo Morandi, particulièrement trois paysages sublissimes, deux de son village, devenu aujourd’hui “le village de Giorgo Morandi” et l’autre de Bologne. Oh, c’est juste quelques pans de mur, juste quelques arbres, un doux zéphir passe entre les branches, presque rien. Il faudrait pouvoir s’asseoir près de ces petites peintures et les contempler tout à loisir, entrer dans cet univers, et ainsi trouver la paix, loin, très loin du tumulte de cette foire extravagante. Morandi et cette lumière indicible qu’il allait chercher au plus profond. Morandi, “connaître le blanc, préserver le noir”. Je veux ici saluer Alessia Calarota et son père, qui m’ont si aimablement reçu sur le stand. C’est au premier étage. (info@maggioregam.com). Morandi, Morandi, Morandi.

(1) Un mien ami, Raymond Rocher, qui enseigne dans une université chinoise de Canton, après avoir été un valeureux attaché culturel, de ceux qu’on aimerait garder, actifs, inventifs…et modestes, bref Raymond le Lettré m’écrit que cette citation est une contraction, comme souvent en chinois, dont le vrai sens serait: “Celui qui connait la lumière mais qui reste dans l’ombre est un modèle pour les autres”. Dont acte!

(2) Un autre ami, mon cher “Dado”, Davide Quadrio, me dit lui que ce n’est pas Samuel mais Richard Kung qui descend de l’arbre de Kong / Confucius…Le pétulant Richard souvent croisé à Shanghaï. Ce que je savais. Là, je suis plus perplexe car Samuel, si j’ai bonne mémoire, revendique aussi cette descendance. Au demeurant, ils sont plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, à se réclamer du grand Ancêtre. A contrario, j’imagine qu’ils devaient raser les murs du temps de la révol cul ( pour paraphraser le titre d’un livre lancé, avec quel fracas pour René Viénet, “Révol Cul dans la Chine Pop”) et du piling pikong…

(3) Un troisième ami m’envoie ce qui selon lui est la citation exacte: 人不知而不愠 不亦君子乎, que je me garderai bien de traduire! J’attends des éclaircissements, toute à l’heure, de Daï Guangyu soi-même. Il m’apprend aussi que Richard Kung – ne pas confondre donc avec Samuel, Pt du Moca Shanghai et “roi du jade”-  est Vice-Président de l’Association mondiale des descendants de Confucius. Le feuilleton continue!